dimanche 8 avril 2012

Lu You 陆游, le poète de la fermeté d'âme

 

Lu You 陆游 , the Poet of Fortitude

 

Ho Manh Trung


1      Généralités.


Lu You 陆游 (1125-1210) a vécu pendant la première moitié de la dynastie des Song du sud (1127-1276). Il a réussi aux examens impériaux mais n’a pas eu vraiment une carrière, par suite d’une divergence de point de vue sur un sujet important. Alors que la cour des Song préférait payer aux envahisseurs Jürchen un tribut annuel afin d’avoir la paix, il préconisait de leur résister et de lutter pour reconquérir le nord de la Chine occupé par ces derniers, qui y ont fondé la dynastie des Jin. Cette position, son franc-parler, ses critiques contre des membres de la cour lui valurent des postes insignifiants dans des endroits éloignés de la capitale. Sur le plan personnel, sa mère l’a obligé de se séparer de sa première femme, qui était aussi l’amour de sa vie. Il est connu comme un poète patriote mais a aussi écrit des poèmes sur la vie à la campagne.

Pour cet article,  nous avons consulté les sources suivantes :
-l’ouvrage Lu You, mandarin, poète et résistant de la Chine des Song par Patrick Doan ; il donne, pour 144 poèmes le texte en caractères chinois (simplifiés et non simplifiés), la transcription en pinyin avec les signes diacritiques indiquant les tons, une traduction en français et pour beaucoup de poèmes leur date ;
-les sites « Zhongguo guoxue wang » (« Réseau des sciences et arts de Chine ») et celui de l’«Université Normale de l’Est de la Chine  » qui fournissent l’œuvre complète (connue), en cinq volumes, de Lu You. (Date de consultation des deux sites : 24 janvier 2010 et jours suivants).

Sur les dix poèmes présentés ci-dessous, trois se trouvent dans l'ouvrage de Patrick Doan ; pour ces trois poèmes comme pour les autres, la traduction du corps du texte est de notre main, mais pour deux de ces poèmes, nous avons trouvé intéressant de reprendre le titre traduit par Patrick Doan et nous le disons à chaque fois ; il en est de même pour les informations fournies par Patrick Doan, notamment sur les dates des poèmes, nous les utilisons en faisant attention pour en bien citer la source.


2  Présentation de dix  poèmes de Lu You. 

Ces poèmes sont présentés dans l'ordre suivant: 
- le poème  « Une nuit, lisant des traités militaires", écrit à l'âge de 31 ans ; 
- le poème « Nuit sur le village lacustre », écrit, selon P. Doan, en 1182 soit à l'âge de 57 ans ;
- sept poèmes comportant l’expression Shu zhi 书志  «Décrire sa détermination, ses aspirations» dans leur titre et uniquement dans leur titre ; ce sont les seuls de l'oeuvre complète, en cinq volume, de Lu You qui utilisent cette expression ; nous les avons choisis, parce que nous avons souhaité étudier un des traits dominants du caractère de Lu You : sa volonté, sa détermination ; ce sont de courts poèmes, cinq ne comportent que huit vers pentasyllabiques, deux en comportent vingt, également pentasyllabiques ; deux de ces textes ont un titre qui permet de les distinguer, les autres partagent le même titre général : «Shu zhi» 书志 « Décrire sa détermination, ses aspirations », pour les distinguer nous allons compléter ce titre général par les deux premiers caractères de chaque poème ; pour les dates, nous allons laisser ensemble ces sept poèmes ; leurs contenus semblent montrer qu'ils ont été écrits après le départ à la retraite de Lu You  en 1188, soit à l'âge de 63 ans ; celui du §2.5 a été daté de façon précise par P. Doan : printemps 1197; à cette date Lu You devait être âgé de 72 ans;
- le dernier poème  « A mes enfants » écrit à l'âge de 84 ans, soit un an avant sa mort.

2.1 Le poème夜读兵书 « Ye du bing shu »,  soit « Une nuit, lisant des traités militaires » (Titre traduit par P. Doan ).
Ce poème de douze vers pentasyllabiques, écrit vers l’âge de 31 ans, commence ainsi :

« Par une nuit froide, sous la lumière d’une lampe solitaire,
Au fin fond de la montagne, je lis des traités militaires.
Dans la vie, j’aspire à être à dix mille li[1],
Serrant mon hallebarde et marchant en tête de l’armée de mon roi. »

Il se termine par les vers :

« Depuis les étangs et les marais, le peuple crie famine comme des oies sauvages, 
Pendant des années et des mois, il met ses espérances dans de pauvres lettrés. 
Je me regarde dans le miroir et je soupire :
Comment faire pour garder longtemps mes capacités ? »


2.2 Le poème夜泊水村 « Ye po shui cun », soit : « Nuit sur le village lacustre » (Titre traduit par P. Doan).

C’est un poème de huit vers heptasyllabiques, écrit vers l'âge de 57 ans.  Nous en proposons la traduction suivante :

« Les flèches portées autour de ma taille sont, depuis longtemps, en mauvais état, 
Je soupire longuement, regrettant de ne pouvoir graver une inscription au Yanran.
Ce n’est pas sans hésitation que ce vieux se résigne à ne plus voir le grand désert,
Vous tous , pourquoi venez-vous pleurer à Xinting ?
De tout mon corps, pour venger le pays, je peux endurer dix  mille fois la mort,
Mais les tempes disent à l’homme que sa jeunesse est partie sans retour.
Je me souviens, cette nuit, étendu dans le bateau à l’escale,
D’avoir entendu des oies sauvages se poser sur la grève glaciale. »

Pour les noms propres Patrick Doan a fourni les indications suivantes :
Yanran : mont Hang’ai, dans l’actuelle république de Mongolie ; en 89, l’empereur He des Han y fit graver l’annonce de sa victoire sur les Xiongnu ;
Xinting : dans les environs de l’actuelle Nanjing.

2.3 Le poème北斋书志示儿辈 « Bei zhai shu zhi shi er bei », soit : « Etant dans la salle du côté nord, je décris mes aspirations pour l’information de la génération de mes enfants ».

Nous en proposons la traduction suivante:

« Par une belle journée venteuse du début de l’été,
Je m’assieds, affaibli, dans la salle du côté nord.
Mon lot de cent ans se passe en  compagnie de la misère,
Les affaires, il est interdit de chercher à les arranger.
Les coutumes des villages permettent d’honorer les vieillards,
La faveur du souverain promet une distinction accordée lors de vos funérailles.
Malgré cela, la faim et le froid sont difficiles à éviter,
Comment tout ceci peut-il suffire pour attacher les élans de mon cœur ? »

2.4 Le poème书志 : 著书… « Shu zhi : Zhu shu… », soit : « Décrire mes aspirations : Ecrire des documents… »

C’est un des deux poèmes comportant vingt vers ; il partage le titre général « Shu zhi » avec quatre autres, pour le distinguer nous avons complété ce titre par les deux premiers caractères «Zhu shu… » soit : « Ecrire des documents… ».
Il présente essentiellement des réflexions de Lu You sur l’attitude que doivent avoir les lettrés confucéens devant les difficultés matérielles. Les deux vers suivant sont significatifs :

« Vendre de la littérature pour obtenir des postes de grands mandarins, de généraux,
Se peut-il que cela soit la fonction des lettrés confucéens ? »

Et la deuxième partie du poème se présente ainsi :

« Jusqu’où faut-il aspirer au confort matériel ?
Laisser fléchir sa fermeté d’âme, c’est ne pas se respecter.
De façon inattendue, je n’eus plus de quoi nous faire un repas,
C’est un peu comme le soleil couchant arrivant au milieu de la journée.
Un petit enfant avec de courts vêtements,
Laissant voir ses jambes rouges,
Serrait sur son cœur une œuvre classique en déclamant ;
Sa voix résonnait comme si elle venait  d’instruments d’or ou de pierre.
Cachant son rouleau, il dit au vieux que je suis :
‘A Chen et Cai le Saint a eu aussi des ennuis’. »

Le dernier vers fait référence à Confucius et ses disciples qui, bloqués à la frontière entre Chen et Cai, se trouvaient à court de vivres.


2.5 Le poème书志 : 往年 « Shu zhi : Wang nian … », soit : « Décrire ma détermination : Cette année-là… »

C’est le second poème comportant vingt vers pentasyllabiques.Selon les indications fournies par l’ouvrage de Patrick Doan, ce poème serait composé par Lu You à l’âge de 72 ans, après sa retraite. 
Dans la première partie du poème, l’auteur revint sur sa décision de quitter la capitale et parla de la misère que, lui et sa famille ont dû supporter après ce départ et le retour à la terre ; il indiqua qu’il a dû glaner dans des champs après la moisson et suggéra par une allusion à une anecdote, qu’il préférait se nourrir de neige plutôt que de céder.
Les douze derniers vers décrivent une aspiration qui ne laisse pas indifférent :

« Mon corps sera enterré au pied d’un pin pour mille ans,
Un vent des ténèbres détruira le caveau vide.
Seuls mon foie et mon cœur auront résisté à la décomposition,
Condensés ils deviendront du fer et de l’or.
On en fera une épée avec de grands pouvoirs,  
Et qui sera consacrée avec du sang de flatteurs courtisans.
Au fourreau, elle sera conservée au magasin des armes,
Sortie, elle équipera le combattant conduisant l’avant-garde.
Longue de trois pieds, elle dépassera étoiles et astres en éclat,
A dix mille li elle pacifiera tous les monstres de malheur.
Seigneur, regardez cette épée, une vraie merveille,
Elle suffira , oh combien, pour détruire ces vils pillards. »

2.6 Le poème书志 : 蓬矢… « Shu zhi : Peng shi… », soit: « Décrire ma détermination : Flèche en tige de vergerette… »
C'est un court poème de huit vers pentasyllabiques. En introduction, l’auteur rappelle la tradition chinoise destinée à être mise en œuvre lors de la naissance d’un garçon ; elle consiste à utiliser un arc en bois de mûrier pour tirer, dans les quatre directions, des flèches en tige de vergerette, ceci afin d’affirmer l’ambition future, plutôt guerrière, du bébé. Il se demande comment on pourrait, à l’approche de la vieillesse, se contenter de se coucher dans son village et exprime ses aspirations de voyager à cheval dans la région de Hu (très probablement dans la province actuelle de Shanxi) et de remonter en bateau les rivières de Xiao et de Xiang (dans la province actuelle de Hunan). Le poème se termine par les deux vers:

« Attristé du fait que ces aspirations sont sur des voies difficles à ouvrir,
Je reprends encore mon chant fou pour briser la longueur de la nuit. »

2.7 Le poème书志 : 平生 « Shu zhi : Ping sheng… », soit : « Décrire ma détermination : Dans la vie… »
Nous en proposons la traduction suivante :

« Dans la vie je n’aime pas former des bandes d’immenses oiseaux de légende,
D’ordinaire, je suis ami avec des cigales pour chanter la fin de la nuit.
Un bol de bouillie de riz noire permet de passer les jours,
Dans une maison aux chevrons abîmés le corps peut être à l’aise.
Affaibli, soupirant sur la vieillesse qui s’approche,
M’inquiétant des malheurs possibles, je n’admets pas qu’un cœur loyal puisse être contaminé.
Dans cinq cents ans mes paroles resteront,
Et les gens riront de vos coussins de jonc sur lesquels vous vous assoyez
sans rien faire. »

Manifestement, Lu You préfère lutter avec ses écrits plutôt que de rester assis sur un coussin à méditer.

2.8 Le poème书志 : 饮水… « Shu zhi : Yin shui… », soit : « Décrire ses aspirations : Boire de l’eau… »

Le poète parle encore de sa misère, mais préfère rester indépendant et il en est heureux comme le montrent les quatre derniers vers du poème :

« Travailler dur sur mon terrain d’un  mu [2] du côté sud vaut mieux que d’aller mendier ma nourriture,
Un lettré décrépi, proche de la mort, a honte de dépendre d’un bonze.
L’humble cabane capte régulièrement la lumière du soleil couchant,
Toc, toc ! quelqu’un frappe ; bien que j’entende, je réponds paresseusement. »

2.9 Le poème书志 示子聿 « Shu zhi shi zi yu », soit : « Décrire mes aspirations pour l’information des enfants »

Lu You semble faire dans ce poème le bilan de sa carrière officielle mouvementée, comprenant plus de bas que de hauts :
« …
Rentrant chez moi, je n’ai pas perdu le métier de boucher de mouton;
Pour la restauration du pays, je n’ai pas d’exploit militaire à mon compte.
Dans mon travail de rédaction, d’inscription j’ai suivi le modèle des Mémoires
historiques ;
Ma porte fermée, je lis avec hésitation le « Li Sao » et l’œuvre de Zhuang.
Le petit enfant accepte d’accompagner le vieillard dans sa vie cachée,
Celle-ci, par peur qu’il est difficile de se dérober à sa réputation. »

L’auteur semble peu content de son bilan et inquiet pour sa réputation ; sur ce dernier point il n’a pas prévu que sa détermination, son patriotisme exprimés notamment dans ses poèmes, seront particulièrement appréciés par la postérité.


2.10 Le dernier poème 示儿 « Shi er », soit : « A mes enfants ».

Ce court poème de quatre vers de sept caractères, très fort, est composé par Lu You à l’âge de 84 ans soit un an avant sa mort ; nous en proposons la traduction suivante:

« Avec la mort, je sais que toutes choses ne sont que viduité,
Cependant je me désole de ne point voir les Neuf provinces réunies.
Le jour où les armées impériales pacifieront la plaine centrale,
N’oubliez pas d’en informer votre père lors du sacrifice familial. »

3  Conclusions.

L’étude des poèmes de Lu You nous montre un lettré droit, indépendant, fidèle à l’idée qu’il se fait du bien pour son pays et pour la dynastie régnante. Pour défendre ses idées il peut s’opposer à la cour ; il en accepte les conséquences, notamment celle de vivre dans la misère ; il pense à sa réputation dans les cinq cents ou mille ans après sa mort ; cette réputation c’est aussi une façon de contribuer à façonner le patriotisme des générations futures. Un trait marquant de son caractère est qu’il a maintenu ferme sa détermination, son zhi tout au long de sa vie.


 Note:  

 Signalons pour le lecteur maîtrisant le vietnamien: Lu You  = Lục Du

 Bibliographie:

 -Doan Patrick, Lu You, Mandarin, poète et résistant de la Chine des Song, Aix-en-Provence, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2004, 338p.

 -Site de la Guoxue gongsi (Société pour  les sciences et les arts nationaux),
Beijing Guoxue times culture transmission Co Ltd: http://www.guoxue.com/
 
-Site Hua Dong Shi Fan Da Xue (Université Normale de l’Est de la Chine, East China Normal University, Shanghai) http://www.yjsy.ecnu.edu.cn/main/index.htm

[1] Li : environ 576m
[2] 1 mu ancien= un peu plus de 6 ares

 

 

vendredi 6 avril 2012

Wen Tianxiang et le Chant du Souffle juste


Wen Tianxiang and the Song of the Righteous inspiration.


Ho Manh Trung.


1 Généralités.

Wen Tianxiang文天祥 (1236-1283), Duc de Xinguo 信国公 (Xin Guo Gong), fut le premier ministre de la dynastie des Song du Sud dans ses derniers jours; reçu premier au concours impérial à l’âge de vingt ans, il a servi en tant qu’administrateur et général. En 1276 les forces mongoles parvinrent à prendre la capitale des Song du Sud : Hangzhou et à capturer l’empereur Gongdi et les impératrices douairières. Wen Tianxiang et quelques autres continuèrent à résister malgré la faiblesse des moyens dont ils disposaient. Wen fut capturé en 1278 et amené à Beijing, capitale des Mongols de la dynastie des Yuan. Kubilay khan, petit-fils de Gengis khan et empereur Shizu des Yuan tenta d’obtenir son ralliement en lui offrant un poste mais il refusa et  fut exécuté en 1283 à l’âge de 47 ans. Pendant sa longue captivité, il a confié ses pensées, ses sentiments à des poèmes qui les ont transmis à la postérité.

Pour cet article nous avons consulté le site « China the beautiful » qui fournit le texte chinois pour quatre poèmes dont le   « Zheng qi ge » 正气歌 soit : « Chant du Souffle juste », le « Guo Lingdingyang » 过零丁洋soit : « En traversant Lingdingyang » et le « Yangzi jiang » 扬子江soit « Le fleuve Yangzi »; http://chinapage.com/main2.htlm  ou http://chinapage.com/china.htlm  ; site consulté le 6 avril 2012.

Comme le site « China the beautiful » ne fournit le texte de ces poèmes qu'en format PDF, le texte du "Chant du Souffle juste" en caractères chinois simplifiés, reproduit en Annexes vient d'une page de Baidu Baike  consultée le 6 avril 2012 : 
http://baike.baidu.com/view/98170.htm . 

Pour le lecteur maîtrisant le vietnamien, nous avons aussi reproduit en Annexes la lecture vietnamienne des caractères chinois du texte du poème "Chant du Souffle juste" ainsi qu'une traduction de ce poème en vietnamien ; ces informations viennent d'une page de Wikipedia, consultée le 6 avril 2012: 
http://vi.wikipedia.org/wiki/V%C4%83n_Thi%C3%AAn_T%C6%B0%E1%BB%9Dng

Nous présentons ci-dessous:
- deux courts poèmes : le « Yangzi jiang » composé avant sa capture par l’ennemi et le célèbre « Guo Lingdingyang » écrit en captivité;
- et le long poème « Zheng qi ge »ou « Chant du Souffle juste »; si Wen Tianxiang est un des grands héros de la Chine avec plusieurs monuments ou parcs consacrés à sa mémoire, le « Chant du Souffle juste » est le chant héroïque de la Chine ; son influence dépasse même les frontières du pays.

2 Présentation de deux courts poèmes.


Le poème « Yangzi jiang » 扬子江ou « Le fleuve Yangzi ».

Nous proposons, ci-dessous une traduction en prose pour ce poème de quatre vers heptasyllabiques écrit pendant la période où Wen Tianxiang était encore en lutte contre les Mongols :
« Le fleuve Yangzi.

Pendant plusieurs jours, selon le vent, j’ai voyagé en Mer du Nord,
Au retour j’ai suivi le cours du grand fleuve Yangzi.
Le cœur du sujet que je suis est comme une aiguille aimantée,
Il ne connaît pas de repos s’il ne s’oriente dans la direction du sud. »

L’auteur y exprime sa loyauté envers la dynastie des Song du sud désignée ici par l’expression : direction du sud.

Le poème « Guo Lingdingyang »‘过零丁洋 ou  « En traversant Lingdingyang »

C’est un poème de huit vers heptasyllabiques écrit sur un bateau, alors que Wen Tianxiang était prisonnier des Mongols.
Il y évoque les épreuves subies par le pays comme par lui-même, il soupire avant d’affirmer sa détermination dans les deux derniers vers, particulièrement forts et très admirés:

« Des humains, depuis l’antiquité, qui a échappé à la mort ?
Autant laisser un cœur loyal qui illuminera les annales de l’histoire. »

3 Le poème « Zheng qi ge » 正气歌 ou  « Chant du Souffle juste ».


Le « Chant du Souffle juste » est un long poème de soixante vers pentasyllabiques écrit en prison.
Nous le présentons ci-dessous avec des traductions pour les passages essentiels (les vers ont été numérotés: 1, 5, 10,..) ; il commence ainsi :

01)« L’univers a le Souffle juste,
Celui-ci est distribué à tous les existants doués de forme.
En bas, il se fait (wei) fleuves et montagnes,
En haut, il se fait (wei) soleil et étoiles.
05)Chez l’humain, on dit qu’il est débordant,
     Abondant il remplit toutes les hauteurs du ciel. »

Comme le montre son titre, ce poème est un chant consacré à un souffle ( qi) qui est juste (zheng) ; ce souffle se manifeste en différents existants ; le verbe utilisé est wei dont le sens de base est : faire ; mais il a aussi le sens de se comporter en, se transformer en ; nous l’avons traduit ici par : se faire ; chez l’humain ce souffle juste est qualifié de débordant (浩然 hao ran; en Vn: hạo nhiên) expression utilisée par Mencius auquel l’auteur se réfère explicitement dans la préface.

Après cette introduction générale, le poème passe de façon plus spécifique à la vie humaine mettant en valeur des actes de droiture:

« Lorsque l’empire est en période de paix,
Les paroles aimables éclairent la vie à la cour ;
Quand les temps sont durs, apparaissent des actes de droiture,
10)Et l’histoire les transmet un à un à la postérité.
A Qi, (c’étaient ) les tablettes de l’historiographe,
A Jin, (c’était ) le pinceau de Dong Hu,
A Qin (c’étaient ) les gourdins commandés par Zhang Liang,
A Hàn, (c’était ) le fanion de Su Wu. »

Les deux premiers actes de droiture concernaient deux historiographes qui, au risque de leur vie, inscrivaient dans les annales qu’à telle date, un tel  avait assassiné le souverain ; les gourdins étaient ceux qu’utilisait un guerrier que Zhang Liang, pour venger son pays, le royaume Hán (avec le 2ème ton) détruit par Qin, avait convaincu d’aller tuer le premier empereur Qin Shi Huangdi ; Su Wu, envoyé par l’empereur Hàn (avec le 4ème ton) comme embassadeur chez les Xiongnu, a été retenu par ces derniers ; il refusait de se rendre, gardait toujours son fanion de l’empire Hàn ; au bout de 19 ans les Xiongnu ont dû le laisser repartir.

Le poème poursuit l’énumération des actes ou comportements méritoires en utilisant de nouveau huit fois la formulation avec le verbewei que nous traduisons ici : ‘se manifester dans’ ; pour alléger nous ne répétons pas ce verbe à chaque vers bien que le texte chinois le fait : 

Il (le souffle juste) se manifeste :

15)« Dans la tête du général Yan qui accepte de la risquer,
Dans le sang versé par l’assistant Ji pour sauver son souverain,
Dans les dents cassées de Zhang, défenseur de Suiyang,
Dans la langue coupée de Yan, gouverneur de Changshan,
Ou dans le chapeau de Guan Ning réfugié au Liaodong,
20)Refusant tout poste, gardant sa droiture plus éclatante que glace et neige.
Ou dans l’avis de départ des troupes de Kong Ming,
Tirant des larmes aux esprits par sa noble détermination.
Ou dans la rame avec laquelle Zu Ti a frappé l’eau du Fleuve Bleu,
Faisant le serment de pacifier les Hu et les Jie.
25)Ou dans la tablette d’écriture avec laquelle,
     Duan Xiushi a fendu la tête d’un traître. »

Les quatre vers de 15 à 18 correspondent aux cas de quatre personnes qui ont maintenu leur détermination, malgré leurs situations désespérées (être prisonnier ou entouré de nombreux ennemis) ; toutes ont payé de leur vie, sauf le général Yan, dont le vainqueur généreux, ému par sa magnanimité, lui a laissé la vie sauve.
Les huit vers de 19 à 26 correspondent aussi à quatre héros ; ils donnent plus de détails sur chaque cas mais sans citer les noms ; dans la traduction, nous avons complété l’information sur ce point. Ces quatre personnes n’étaient pas dans des situations désespérées ; ils avaient agi de leur propre initiative ; tous ont vécu longtemps après l’événement relaté, sauf le dernier. Le cas de Guan Ning mérite d’être souligné ; il n’a pas accompli d’acte de bravoure spectaculaire ; dans un monde en désordre, il s’est retiré pour vivre pauvrement en éduquant le peuple par l’enseignement et par l’exemple.

Le poème revient ensuite au Souffle juste :

27)« Ce que ce Souffle remplit demeurera,
Majestueux, pendant la durée de dix mille antiquités.
Alors qu’il relie les astres comme la lune et le soleil,
30)En quoi la question de la vie ou de la mort de chacun mérite encore d’être
débattue?
Grâce à lui, les liens retenant la terre sont établis,
Les piliers du ciel maintiennent celui-ci dans sa haute position,
Les Trois Relations organisent la vie de chacun,
Et la Voie, le Sens du Juste ont leur racine.

35)Hélas ! Je rencontre une très mauvaise chance,
L’employé subalterne que je suis est impuissant. 
      ….. »

En une douzaine de vers Wen Tianxiang décrit sa captivité, puis il semble être encouragé par deux années de bonne santé :

47) « J’ai vécu ainsi deux années, pendant lesquelles,
Les cent maladies m’ont épargné.
Ah ! Hélas ! Cet endroit bas et humide,
50)Me sert maintenant d’habitation calme et confortable.

Quel artifice étrange fait que l’alternance,
Du Yin, du Yang, du froid et de la canicule ne peut m’atteindre ?
Ce n’est que le Souffle juste qui brille dans mon coeur,
Et qui me fait voir les choses de la vie comme des nuages flottants.

55)Mon cœur est triste mais il reste calme et lointain,
Le ciel bleu peut-il avoir une limite ?
Le temps des sages est déjà éloigné,
Et les modèles se trouvent dans un lointain passé.
Sous l’auvent j’ouvre un livre et je lis,
60)La Voie ancienne brille devant mon visage. »

 4    Conclusion .


Wen Tianxiang était un grand patriote, loyal envers son pays et la dynastie régnante ; sa détermination était exemplaire ; ses poèmes le disent.
Le « Zheng qi ge » montre que son auteur croit à l’existence dans l’univers d’un Souffle juste, il se manifeste chez l’être humain par des actes de droiture, des comportements de rectitude. Il serait réductionniste de considérer que ce souffle est simplement une énergie matérielle; il n’est pas non plus un dieu qui indique  à l’être humain ce qu’il doit faire ; Wen Tianxiang a bien précisé que chez l’être humain ce Souffle juste est le souffle débordant (hao ran zhi qi浩然之气;en Vn:hạo nhiên chi khí ) défini par Mencius comme un souffle grand et fort, nourri de droiture (zhi; trực), non lésé et qui s’unit avec le Sens du juste (YiNghĩa) et la Voie ( Dao;Đạo). Comme c’est le même souffle qui existe partout et depuis toujours, il joue aussi un rôle de lien entre tous les humains droits et nobles du passé, du présent et du futur, humains que le souffle relie aussi aux astres et au cosmos.

Annexes: 

 1) http://baike.baidu.com/view/98170.htm

       文天祥    正气歌


         天地有正气,杂然赋流形。下则为河岳,上则为日星。于人曰浩然,沛乎塞苍冥。
  皇路当清夷,含和吐明庭。时穷节乃见,一一垂丹青。在齐太史简,在晋董狐笔
  在秦张良椎,在汉苏武节。为严将军头,为嵇侍中血。为张睢阳齿,为颜常山舌
  或为辽东帽,清操厉冰雪。或为出师表,鬼神泣壮烈。或为渡江楫,慷慨吞胡羯。
  或为击贼笏,逆竖头破裂。是气所磅礴,凛烈万古存。当其贯日月,生死安足论。
  地维赖以立,天柱赖以尊。三纲实系命,道义为之根。嗟予遘阳九,隶也实不力。
  楚囚缨其冠,传车送穷北。鼎镬甘如饴,求之不可得。阴房阒鬼火,春院闭天黑。
        牛骥同一皂,鸡栖凤凰食。一朝蒙雾露,分作沟中瘠。如此再寒暑,百疠自辟易。
  哀哉沮洳场,为我安乐国。岂有他缪巧,阴阳不能贼。顾此耿耿在,仰视浮云白。
    悠悠我心悲, 苍天曷有极。 哲人日已远,典刑在夙昔。 风檐展书读, 古道照颜色。

2) http://vi.wikipedia.org/wiki/V%C4%83n_Thi%C3%AAn_T%C6%B0%E1%BB%9Dng

           Văn Thiên Tường

Chính khí ca
Thiên địa hữu chính khí
Tạp nhiên phú lưu hình
Hạ tắc vi hà nhạc
Thượng tắc vi nhật tinh
Ư nhân viết "hạo nhiên"
Bái hồ tắc thương minh
Hoàng lộ đương thanh di
Hàm hòa thổ minh đình
Thời cùng tiết nãi hiện
Nhất nhất thùy đan thanh
Tại Tề thái sử giản
Tại tấn Đổng Hồ bút
Tại Tần Chu Hợi truỳ
Tại Hán Tô Vũ tiết
Vi Nghiêm tướng quân đầu
Vi Kê thị trung huyết
Vi Trương Thư Dương xỉ
Vi Nhan Thường Sơn thiệt
Thanh tháo lệ băng tuyết
Hoặc vi Xuất Sư Biểu
Quỉ thần khấp tráng liệt
Hoặc vi độ giang tiếp
Khẳng khái thôn hồ yết
Hoặc vi kích tặc hốt
Nghịch thụ đầu phá liệt
Thị khí sở bàng bạc
Lẫm liệt vạn cổ tồn
Đương kỳ quán nhật nguyệt
Sinh tử an túc luân
Địa duy lại dĩ lập
Thiên trụ lại dĩ tồn
Tam cương thực hệ mệnh
Đạo nghĩa vi chi căn
Ta dư cấu dương cửu
Lệ dã thực bất lực
Sở tù anh kỳ quan
Truyện xa tống cùng bắc
Đỉnh hoạch cam như di
Cầu chi bất khả đắc
Âm phòng niết quỉ hỏa
Xuân viện bí thiên hắc
Ngưu ký đồng nhất tạo
Kê thê phụng hoàng thực
Nhất triêu mông vụ lộ
Phân tác câu trung tích
Như thử tái hàn thử
Bách lệ tự tích dịch
Ai tai tự như trường
Vi ngã an lạc quốc
Khởi hữu tha cù xảo
Âm dương bất năng tặc
Cố thử cảnh thảm bại
Ngưỡng thị phù vân bạch
Du du ngã tâm bi
Thương thiên hạt hữu cực
Triết nhân nhật dĩ viễn
Điển hình tại túc tích
Phong diêm triển thư độc
Cổ đạo chiếu nhan sắc
Bài ca chính khí
Trời đất có chính khí
Tỏa ra cho muôn loài
Là sông núi dưới đất
Là trăng sao trên trời
Đầy rẫy cả vũ trụ
Khí hạo nhiên của người
Gặp cảnh đời bình trị
Triều thịnh vang lời vui
Khi cùng, tiết tháo rõ
Sử xanh ghi đời đời.
Ở Tề, sách Thái Sử
Ở Tấn, bút Đổng Hồ
Ở Tần, chùy Bác Lãng
Ở Hán, cờ họ Tô
Đầu Nghiêm thách trước giặc
Máu Kê trên áo vua
Răng Trương công chửi địch
Lưỡi Kiều Khanh mắng thù.
Hoặc là mũ Liêu Đông
Vẻ băng tuyết phau phau
Hoặc là biểu "Ra quân"
Lẫm liệt quỷ thần sầu
Hoặc qua sông gõ nhịp
Khảng khái nuốt quân Hồ
Hoặc giật hốt đánh giắc
Phường tiếm nghịch toang đầu.
Khi ấy tràn ngập tới
Oai nghiêm muôn thuở còn
Khi đã vượt nhật nguyệt
Sống thác chuyện con con!
Khuôn đất nhờ đó vững
Cột trời nhờ đó còn
Ba giường được gìn giữ
Đạo nghĩa có gốc nguồn.
Xót ta gặp vận ách
Tướng sĩ thực hèn nhát
Dải mũ buộc thân tù
Xe chở lên cực bắc
Ninh nấu cũng cam lòng
Còn để ta mong mãi
Phòng sâu ma lập lòe
Viện xuân thành ngục tối!
Ngựa giỏi nhốt cùng trâu
Chuồng gà, phượng nhặt thóc
Thân này khi gió sương
Đành rãnh ngòi lăn lóc
Thế mà hai năm qua
Tránh xa bao khí độc
Thương ôi! Chỗ lội lầm!
Lại sống yên tối sớm
Phải đâu khôn khéo gì
Âm dương không dám phạm
Vằng vặc tấm cô trung
Ngẩng nhìn mây trắng nổi
Buồn thay! Nỗi lòng ta
Trời xanh cao vời vợi!
Thánh hiền khuất lâu rồi
Khuôn phép vẫn không mất
Hiên gió mở sách coi
Gương xưa soi trước mặt.