Lu You 陆游 , the Poet of Fortitude
Ho
Manh Trung
1 Généralités.
Lu You 陆游 (1125-1210) a vécu pendant
la première moitié de la dynastie des Song du sud (1127-1276). Il a réussi aux
examens impériaux mais n’a pas eu vraiment une carrière, par suite d’une
divergence de point de vue sur un sujet important. Alors que la cour des Song
préférait payer aux envahisseurs Jürchen un tribut annuel afin d’avoir la paix,
il préconisait de leur résister et de lutter pour reconquérir le nord de la
Chine occupé par ces derniers, qui y ont fondé la dynastie des Jin. Cette
position, son franc-parler, ses critiques contre des membres de la cour lui
valurent des postes insignifiants dans des endroits éloignés de la capitale.
Sur le plan personnel, sa mère l’a obligé de se séparer de sa première femme,
qui était aussi l’amour de sa vie. Il est connu comme un poète patriote mais a
aussi écrit des poèmes sur la vie à la campagne.
Pour cet article, nous
avons consulté les sources suivantes :
-l’ouvrage Lu You,
mandarin, poète et résistant de la Chine des Song par Patrick Doan ;
il donne, pour 144 poèmes le texte en caractères chinois (simplifiés et non
simplifiés), la transcription en pinyin avec les signes diacritiques
indiquant les tons, une traduction en français et pour beaucoup de poèmes leur
date ;
-les sites « Zhongguo
guoxue wang » (« Réseau des sciences et arts de Chine ») et
celui de l’«Université Normale de l’Est de la Chine » qui
fournissent l’œuvre complète (connue), en cinq volumes, de Lu You. (Date de
consultation des deux sites : 24 janvier 2010 et jours suivants).
Sur les dix poèmes présentés
ci-dessous, trois se trouvent dans l'ouvrage de Patrick Doan ; pour ces trois
poèmes comme pour les autres, la traduction du corps du texte est de notre
main, mais pour deux de ces poèmes, nous avons trouvé intéressant de
reprendre le titre traduit par Patrick Doan et nous le disons à chaque fois ;
il en est de même pour les informations fournies par Patrick Doan, notamment sur les
dates des poèmes, nous les utilisons en faisant attention pour en bien citer la source.
2 Présentation de dix poèmes de Lu You.
Ces poèmes sont présentés dans
l'ordre suivant:
- le poème « Une
nuit, lisant des traités militaires", écrit à l'âge de 31 ans ;
- le poème « Nuit sur
le village lacustre », écrit, selon P. Doan, en 1182 soit à l'âge de
57 ans ;
- sept poèmes comportant
l’expression Shu zhi 书志
«Décrire sa détermination, ses aspirations» dans leur titre et
uniquement dans leur titre ; ce sont les seuls de l'oeuvre complète, en cinq
volume, de Lu You qui utilisent cette expression ; nous les avons choisis,
parce que nous avons souhaité étudier un des traits dominants du caractère de
Lu You : sa volonté, sa détermination ; ce sont de courts poèmes, cinq ne
comportent que huit vers pentasyllabiques, deux en comportent vingt, également
pentasyllabiques ; deux de ces textes ont un titre qui permet de les
distinguer, les autres partagent le même titre général : «Shu zhi»
书志 « Décrire
sa détermination, ses aspirations », pour les distinguer nous allons
compléter ce titre général par les deux premiers caractères de chaque poème ;
pour les dates, nous allons laisser ensemble ces sept poèmes ; leurs contenus
semblent montrer qu'ils ont été écrits après le départ à la retraite de Lu
You en 1188, soit à l'âge de 63 ans ; celui du §2.5 a été daté de façon
précise par P. Doan : printemps 1197; à cette date Lu You devait être âgé de 72
ans;
- le dernier poème « A
mes enfants » écrit à l'âge de 84 ans, soit un an avant sa mort.
2.1 Le poème夜读兵书 « Ye
du bing shu », soit « Une
nuit, lisant des traités militaires » (Titre traduit par P. Doan ).
Ce poème de douze vers pentasyllabiques, écrit vers l’âge de 31 ans, commence ainsi :
« Par une nuit froide,
sous la lumière d’une lampe solitaire,
Au fin fond de la montagne, je
lis des traités militaires.
Dans la vie, j’aspire à être à
dix mille li[1],
Serrant mon hallebarde et marchant en tête de l’armée de mon
roi. »
Il se termine par les
vers :
« Depuis les étangs et
les marais, le peuple crie famine comme des oies sauvages,
Pendant des années
et des mois, il met ses espérances dans de pauvres lettrés.
Je me regarde dans le miroir
et je soupire :
Comment faire pour garder
longtemps mes capacités ? »
2.2 Le poème夜泊水村 « Ye po shui cun »,
soit : « Nuit sur le village lacustre » (Titre traduit
par P. Doan).
C’est un poème de huit vers heptasyllabiques, écrit vers l'âge de
57 ans. Nous en proposons la traduction suivante :
« Les flèches portées
autour de ma taille sont, depuis longtemps, en mauvais état,
Je soupire
longuement, regrettant de ne pouvoir graver une inscription au Yanran.
Ce n’est pas sans hésitation
que ce vieux se résigne à ne plus voir le grand désert,
Vous tous , pourquoi
venez-vous pleurer à Xinting ?
De tout mon corps, pour venger
le pays, je peux endurer dix mille fois
la mort,
Mais les tempes disent à
l’homme que sa jeunesse est partie sans retour.
Je me souviens, cette nuit,
étendu dans le bateau à l’escale,
D’avoir entendu des oies
sauvages se poser sur la grève glaciale. »
Pour les noms propres Patrick
Doan a fourni les indications suivantes :
Yanran : mont Hang’ai,
dans l’actuelle république de Mongolie ; en 89, l’empereur He des Han y
fit graver l’annonce de sa victoire sur les Xiongnu ;
Xinting : dans les
environs de l’actuelle Nanjing.
2.3 Le poème北斋书志示儿辈 « Bei zhai
shu zhi shi er bei », soit : « Etant dans la salle du côté
nord, je décris mes aspirations pour l’information de la génération de mes
enfants ».
Nous en proposons la
traduction suivante:
« Par une belle journée
venteuse du début de l’été,
Je m’assieds, affaibli, dans
la salle du côté nord.
Mon lot de cent ans se passe
en compagnie de la misère,
Les affaires, il est interdit
de chercher à les arranger.
Les coutumes des villages
permettent d’honorer les vieillards,
La faveur du souverain promet
une distinction accordée lors de vos funérailles.
Malgré cela, la faim et le
froid sont difficiles à éviter,
Comment tout ceci peut-il
suffire pour attacher les élans de mon cœur ? »
2.4 Le poème书志 : 著书…
« Shu zhi : Zhu shu… », soit : « Décrire mes
aspirations : Ecrire des documents… »
C’est un des deux poèmes
comportant vingt vers ; il partage le titre général « Shu zhi »
avec quatre autres, pour le distinguer nous avons complété ce titre par les
deux premiers caractères «Zhu shu… » soit : « Ecrire des
documents… ».
Il présente essentiellement
des réflexions de Lu You sur l’attitude que doivent avoir les lettrés
confucéens devant les difficultés matérielles. Les deux vers suivant sont
significatifs :
« Vendre de la
littérature pour obtenir des postes de grands mandarins, de généraux,
Se peut-il que cela soit la
fonction des lettrés confucéens ? »
Et la deuxième partie du poème
se présente ainsi :
« Jusqu’où faut-il
aspirer au confort matériel ?
Laisser fléchir sa fermeté
d’âme, c’est ne pas se respecter.
De façon inattendue, je n’eus
plus de quoi nous faire un repas,
C’est un peu comme le soleil
couchant arrivant au milieu de la journée.
Un petit enfant avec de courts
vêtements,
Laissant voir ses jambes
rouges,
Serrait sur son cœur une œuvre
classique en déclamant ;
Sa voix résonnait comme si
elle venait d’instruments d’or ou de
pierre.
Cachant son rouleau, il dit au
vieux que je suis :
‘A Chen et Cai le Saint a eu
aussi des ennuis’. »
Le dernier vers fait référence
à Confucius et ses disciples qui, bloqués à la frontière entre Chen et Cai, se
trouvaient à court de vivres.
2.5 Le poème书志 : 往年
« Shu zhi : Wang nian … », soit : « Décrire ma
détermination : Cette année-là… »
C’est le second poème
comportant vingt vers pentasyllabiques.Selon les indications fournies
par l’ouvrage de Patrick Doan, ce poème serait composé par Lu You à l’âge de 72
ans, après sa retraite.
Dans la première partie du poème, l’auteur revint sur
sa décision de quitter la capitale et parla de la misère que, lui et sa famille
ont dû supporter après ce départ et le retour à la terre ; il indiqua
qu’il a dû glaner dans des champs après la moisson et suggéra par une allusion
à une anecdote, qu’il préférait se nourrir de neige plutôt que de céder.
Les douze derniers vers
décrivent une aspiration qui ne laisse pas indifférent :
« Mon corps sera enterré
au pied d’un pin pour mille ans,
Un vent des ténèbres détruira
le caveau vide.
Seuls mon foie et mon cœur
auront résisté à la décomposition,
Condensés ils deviendront du
fer et de l’or.
On en fera une épée avec de
grands pouvoirs,
Et qui sera consacrée avec du
sang de flatteurs courtisans.
Au fourreau, elle sera
conservée au magasin des armes,
Sortie, elle équipera le
combattant conduisant l’avant-garde.
Longue de trois pieds, elle
dépassera étoiles et astres en éclat,
A dix mille li elle
pacifiera tous les monstres de malheur.
Seigneur, regardez cette épée,
une vraie merveille,
Elle suffira , oh combien,
pour détruire ces vils pillards. »
2.6 Le poème书志 : 蓬矢… « Shu
zhi : Peng shi… », soit: « Décrire ma détermination :
Flèche en tige de vergerette… »
C'est un court poème de huit vers pentasyllabiques. En introduction,
l’auteur rappelle la tradition chinoise destinée à être mise en œuvre lors de
la naissance d’un garçon ; elle consiste à utiliser un arc en bois de
mûrier pour tirer, dans les quatre directions, des flèches en tige de
vergerette, ceci afin d’affirmer l’ambition future, plutôt guerrière, du bébé.
Il se demande comment on pourrait, à l’approche de la vieillesse, se contenter
de se coucher dans son village et exprime ses aspirations de voyager à cheval
dans la région de Hu (très probablement dans la province actuelle de Shanxi) et
de remonter en bateau les rivières de Xiao et de Xiang (dans la province actuelle
de Hunan). Le poème se termine par les deux vers:
« Attristé du fait que
ces aspirations sont sur des voies difficles à ouvrir,
Je reprends encore mon chant
fou pour briser la longueur de la nuit. »
2.7 Le poème书志 : 平生 « Shu
zhi : Ping sheng… », soit : « Décrire ma
détermination : Dans la vie… »
Nous en proposons la
traduction suivante :
« Dans la vie je n’aime
pas former des bandes d’immenses oiseaux de légende,
D’ordinaire, je suis ami avec
des cigales pour chanter la fin de la nuit.
Un bol de bouillie de riz
noire permet de passer les jours,
Dans une maison aux chevrons
abîmés le corps peut être à l’aise.
Affaibli, soupirant sur la
vieillesse qui s’approche,
M’inquiétant des malheurs
possibles, je n’admets pas qu’un cœur loyal puisse être contaminé.
Dans cinq cents ans mes
paroles resteront,
Et les gens riront de vos
coussins de jonc sur lesquels vous vous assoyez
sans rien faire. »
Manifestement, Lu You préfère
lutter avec ses écrits plutôt que de rester assis sur un coussin à méditer.
2.8 Le poème书志 : 饮水… « Shu
zhi : Yin shui… », soit : « Décrire ses
aspirations : Boire de l’eau… »
Le poète parle encore de sa
misère, mais préfère rester indépendant et il en est heureux comme le montrent
les quatre derniers vers du poème :
« Travailler dur sur mon
terrain d’un mu [2]
du côté sud vaut mieux que d’aller mendier ma nourriture,
Un lettré décrépi, proche de
la mort, a honte de dépendre d’un bonze.
L’humble cabane capte
régulièrement la lumière du soleil couchant,
Toc, toc ! quelqu’un
frappe ; bien que j’entende, je réponds paresseusement. »
2.9 Le poème书志 示子聿 « Shu
zhi shi zi yu », soit : « Décrire mes
aspirations pour l’information des enfants »
Lu You semble faire dans ce
poème le bilan de sa carrière officielle mouvementée, comprenant plus de bas
que de hauts :
« …
Rentrant chez moi, je n’ai pas
perdu le métier de boucher de mouton;
Pour la restauration du pays,
je n’ai pas d’exploit militaire à mon compte.
Dans mon travail de rédaction,
d’inscription j’ai suivi le modèle des Mémoires
historiques ;
Ma porte fermée, je lis avec
hésitation le « Li Sao » et l’œuvre de Zhuang.
Le petit enfant accepte
d’accompagner le vieillard dans sa vie cachée,
Celle-ci, par peur qu’il est
difficile de se dérober à sa réputation. »
L’auteur semble peu content de
son bilan et inquiet pour sa réputation ; sur ce dernier point il n’a pas
prévu que sa détermination, son patriotisme exprimés notamment dans ses poèmes,
seront particulièrement appréciés par la postérité.
Ce court poème de quatre vers
de sept caractères, très fort, est composé par Lu You à l’âge de 84 ans soit un
an avant sa mort ; nous en proposons la traduction suivante:
« Avec la mort, je sais
que toutes choses ne sont que viduité,
Cependant je me désole de ne
point voir les Neuf provinces réunies.
Le jour où les armées
impériales pacifieront la plaine centrale,
N’oubliez pas d’en informer
votre père lors du sacrifice familial. »
3 Conclusions.
L’étude des poèmes de Lu You
nous montre un lettré droit, indépendant, fidèle à l’idée qu’il se fait du bien
pour son pays et pour la dynastie régnante. Pour défendre ses idées il
peut s’opposer à la cour ; il en accepte les conséquences, notamment celle
de vivre dans la misère ; il pense à sa réputation dans les cinq cents ou
mille ans après sa mort ; cette réputation c’est aussi une façon de
contribuer à façonner le patriotisme des générations futures. Un trait marquant
de son caractère est qu’il a maintenu ferme sa détermination, son zhi 志 tout au long de sa vie.
Note:
Signalons pour le lecteur maîtrisant le vietnamien: Lu You = Lục Du
Bibliographie:
-Doan Patrick, Lu You, Mandarin, poète et résistant de la Chine des Song, Aix-en-Provence, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2004, 338p.
-Site de la Guoxue gongsi (Société pour les sciences et les arts nationaux),
Beijing Guoxue
times culture transmission Co Ltd: http://www.guoxue.com/
-Site Hua Dong Shi Fan Da Xue (Université
Normale de l’Est de la Chine, East China Normal University, Shanghai) http://www.yjsy.ecnu.edu.cn/main/index.htm
[1]
Li : environ 576m
[2] 1 mu ancien= un peu plus de 6 ares
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